Chance et Raison se croisèrent un
jour sur un pont étroit et aucune ne voulut céder le passage à l’autre. Après s’être disputée, elles décidèrent de
savoir qui était plus importante que l’autre. Après tirage au sort, ce fut la
Raison qui serait la première à s’immiscer dans la vie d’un homme.
Le premier homme qui passa était
un paysan sur sa carriole. Lorsque la Raison pénétra son esprit, il oublia ses
rêveries et le chant des oiseaux et réfléchit à sa condition. Il estima qu’il
était triste de trimer depuis des générations et de rester aussi démuni. Il
décida alors de quitter son logis et de partir tenter sa chance en ville, où se
trouvaient les riches.
Il se rendit au Palais Royal et
en observa avec attention le fonctionnement. Ce qui le frappa le plus, ce fut
le jardin d’agrément du Roi. Il devint jardinier et, malgré la jalousie du chef
jardinier, contribua à l’embellir en créant notamment une belle roseraie où le
Roi et ses proches aimaient se reposer.
Le Roi y venait notamment en
compagnie de sa fille. Celle-ci en devenant femme perdit l’usage de la parole.
Le Roi, terrorisé par l’état de sa fille en vint à promettre sa main à qui lui
rendrait la parole.
Le petit paysan décida de tenter sa chance un
jour où la famille royale se reposait dans le jardin. Il s’adressa au chien de
la princesse en ces termes : « Aide-moi à résoudre cette énigme. Au cours d’un de mes voyages, en compagnie de
deux compères, nous nous arrêtons pour
dormir dans une forêt. Nous décidons de faire le guet à tour de rôle pour nous prémunir
des bêtes sauvages. Le premier guetteur, un sculpteur, pour passer le temps,
sculpte une magnifique jeune femme dans un tronc. Plus tard dans la nuit, le
second guetteur, un tailleur, lui confectionne des vêtements. Lorsqu’arrive mon
tour de guet, je lui décris la nature qui s’éveille, les odeurs et… je la vois
s’animer. Une querelle éclate alors avec mes compagnons sur qui peut prétendre
à être son fiancé. »
Si le chien ne répondit rien, la
princesse se leva brusquement et dit : « c’est toi l’heureux élu,
puisque tu as réussi à lui donner vie. »
Le paysan tendit alors la main à
la princesse en lui demandant si, elle aussi, était inspirée par ses paroles.
La princesse acquiesça d’un regard sans équivoque.
Le petit paysan se tourna alors
vers le Roi, mais celui-ci avant qu’il n’ait pu placer un mot, se leva avec
colère et lui dit : « je te récompenserai pour ce que tu as fait,
mais tu disparaîtras ensuite de notre vue. » Le petit paysan essaya de
rappeler sa promesse au Roi, mais il n’obtint comme retour d’être arrêté pour
insolence et condamné à l’échafaud.
Chance et Raison, témoins de
cette situation, réagirent. Chance souligna que la raison pure n’avait pas
suffi. Raison lui céda sa place.
Quand le bourreau leva son épée,
celle-ci se brisa et assomma ce dernier. Comme il est d’usage, le condamné fut
gracié sur le champ, juste à temps pour voir arriver le Roi, revenu sur sa
décision… après réflexion.
Depuis cette histoire, on raconte
qu’à nos croisées des chemins, la Chance veille. A côté d’elle, la Raison
murmure : « Si la chance est avec toi, pourquoi te hâter ? Et si
elle n’y est pas, pourquoi te
hâter : réfléchis ! »
Rédigé à partir des "Contes des sages slaves" (Seuil, 2014)
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