vendredi 20 juin 2025

La puissance de l'éloge




Nous traversons une époque où la nuance semble avoir déserté le débat public. Les réseaux sociaux et les médias privilégient les oppositions tranchées, les jugements rapides, et la stigmatisation de la moindre erreur. Dans ce climat, un mot mal interprété suffit à vous cataloguer, à vous assigner une étiquette difficile à décoller. Ce phénomène s’étend au monde professionnel, particulièrement en France, où l’on considère souvent que ce qui fonctionne va de soi et ne mérite pas d’être relevé, tandis que les erreurs, elles, sont systématiquement pointées du doigt.


Face à cette tendance, comment cultiver un état d’esprit positif, individuel et collectif ? La réponse pourrait bien résider dans la puissance de l’éloge. De nombreuses expériences en psychologie sociale, menées aussi bien aux États-Unis qu’en France, ont démontré l’impact des attentes et des messages positifs sur la réussite. L’expérience célèbre où l’on divise des élèves en deux groupes et où l’on informe les enseignants que l’un est « prometteur » et l’autre « en difficulté » illustre parfaitement ce phénomène : les résultats scolaires des élèves s’alignent sur les attentes transmises, indépendamment de leur niveau réel.


L’idée que nos capacités seraient figées est un mythe. Si nous ne pouvons pas tous atteindre le génie d’un Picasso ou d’un Chopin, chacun possède des talents qui ne demandent qu’à être révélés. Or, ces dons restent souvent en sommeil tant qu’ils ne rencontrent pas un regard bienveillant, une parole encourageante, un défi lancé avec confiance. L’éloge, loin d’être une flatterie superficielle, agit comme un catalyseur : il permet à l’enfant, au collègue, à l’ami, de se voir autrement, de s’autoriser à progresser et à se dépasser.


La louange n’est pas seulement un outil de motivation individuelle. Elle transforme les dynamiques de groupe, instaure un climat de confiance, favorise l’innovation et la prise d’initiative. Dans un contexte professionnel, elle valorise les réussites, encourage la coopération et réduit la peur de l’échec. Dans l’éducation, elle redonne confiance à ceux qui doutent et permet à chacun de trouver sa place.

Redonner sa place à l’éloge, c’est réintroduire la nuance dans nos rapports aux autres. C’est reconnaître que la critique constructive ne va pas sans la reconnaissance des efforts et des progrès. C’est, surtout, offrir à chacun la possibilité de grandir, de s’épanouir et de contribuer pleinement à la société. Dans un monde qui valorise trop souvent ce qui ne va pas, l’éloge est un acte de résistance, un choix éthique et un puissant levier de transformation.


Alors qu’allez-vous faire ?

vendredi 13 juin 2025

Prenez garde aux enthousiastes



Fouiller dans l’histoire des mots réserve parfois des surprises éclairantes. Prenons « enthousiasme ». Aujourd’hui, ce mot évoque la passion, l’ardeur, l’exaltation. Le Larousse le définit comme « émotion puissante qui s’empare de quelqu’un à propos de quelqu’un ou de quelque chose et qui se manifeste par des signes extérieurs d’admiration… ».
Pour le néophyte qui découvre un nouveau domaine, cette émotion peut être grisante : on veut tout apprendre, tout partager, tout transformer autour de soi.

Pourtant, l’enthousiasme n’a pas toujours eu cette image positive. À l’origine, il désignait une personne possédée par un esprit ou un démon. Au XVIIe siècle, David Hume voyait l’enthousiaste comme un fanatique, un extrémiste, dont l’excès de zèle pouvait devenir dangereux.
Aujourd’hui encore, dans la transmission du savoir, l’enthousiasme du débutant peut vite se transformer en emballement : vouloir convaincre à tout prix, imposer ses nouvelles connaissances, ou manquer d’écoute envers ceux qui ont plus d’expérience.

Le psychologue Daniel Kahneman a montré que notre cerveau fonctionne selon deux systèmes :

  • Le système rapide, intuitif, émotionnel, qui nous pousse à agir avec passion.
  • Le système lent, rationnel, réfléchi, qui nous invite à prendre du recul.

L’enthousiasme du néophyte vient du cerveau rapide : il est moteur, mais peut aussi nous aveugler. Pour transmettre efficacement, il faut apprendre à mobiliser aussi le cerveau lent : prendre le temps d’écouter, de douter, de se remettre en question.

  • Prendre du recul : Avant de partager une information, vérifiez-la, confrontez-la à d’autres points de vue.
  • Écouter les anciens : L’expérience des autres est précieuse. Posez des questions, acceptez les critiques.
  • Accepter l’erreur : Le savoir se construit aussi par l’essai et l’erreur. Ne cherchez pas à tout maîtriser tout de suite.
  • Modérer son zèle : Laissez de la place aux autres, ne cherchez pas à imposer votre vision.
  • Instaurer des rituels : Des temps d’échange, des bilans réguliers permettent de garder le cap et d’éviter les emballements.

L’enthousiasme du néophyte est une chance : il insuffle de l’énergie, du renouveau. Mais il doit être tempéré par la raison et l’écoute, pour éviter l’excès de zèle qui peut nuire à la transmission du savoir. Comme le rappelle Daniel Kahneman, c’est dans l’équilibre entre passion et réflexion que réside la clé d’un apprentissage durable et partagé.

dimanche 8 juin 2025

Le partage




Open space, temps de présence décomposé, équipe projet et partage des bureaux deviennent courants aujourd’hui. Dans ce contexte, comment développer un esprit d’entraide, de partage et un sentiment d’appartenance à une équipe ? En préface de son livre « The different drum »,  Scott Peck (1936-2005), psychanalyste américain, développe son approche de la vie en communauté. Un regard intéressant pour les règles d’une communauté d’apprenants ou simplement de la vie en équipe. 

 

Dans un monastère en déclin, cinq moines âgés vivent dans la tristesse de voir leur communauté disparaître. L’abbé, désespéré, va consulter un rabbin réputé pour sa sagesse. Le rabbin n’a pas de solution concrète, mais lui confie une énigme : « Le Messie est l’un de vous. »

Intrigués, les moines commencent à se demander lequel d’entre eux pourrait être ce Messie. Chacun se met alors à considérer les autres – et lui-même – avec un profond respect, au cas où l’un d’eux serait effectivement porteur de cette grandeur cachée. Cette nouvelle attitude transforme leur façon de vivre ensemble : l’ambiance devient chaleureuse, respectueuse, empreinte de bienveillance.

Peu à peu, les visiteurs de passage ressentent cette atmosphère particulière et reviennent, attirant d’autres personnes. Le monastère renaît, attire de nouveaux membres et retrouve sa vitalité.

 

Dans l’histoire, la simple possibilité que « le Messie » soit l’un d’eux pousse chaque moine à traiter les autres avec une attention et un respect renouvelés.

 

 Transposé à un open space ou à une équipe projet, cela signifie reconnaître que chaque collègue a une valeur unique et un potentiel insoupçonné. Si chacun considère que son voisin peut être porteur d’une idée géniale, d’un talent caché ou d’une solution inattendue, l’ambiance de travail devient plus positive, plus collaborative et plus respectueuse.

 

Le changement d’attitude des moines crée une communauté soudée, où la bienveillance et l’écoute sont la norme. Dans une équipe projet, cela se traduit par un partage plus spontané des connaissances, des compétences et des expériences. On s’entraide plus facilement, on célèbre les réussites collectives, on apprend de ses erreurs sans crainte d’être jugé.

 

L’atmosphère nouvelle du monastère attire les visiteurs, qui eux-mêmes diffusent cette énergie positive autour d’eux. De même, dans une entreprise, une équipe soudée et bienveillante rayonne à l’extérieur : elle attire de nouveaux talents, fidélise les clients, inspire d’autres équipes. La culture du partage et du respect devient un véritable avantage compétitif.

 

L’histoire du « Cadeau du Rabbin » nous enseigne qu’un changement d’attitude, même subtil, peut transformer une communauté moribonde en un lieu vivant et attractif. Dans un équipe projet professionnelle, cultiver le respect, la bienveillance et le partage profite à tous : cela crée une dynamique interne positive et un rayonnement bénéfique vers l’extérieur, au service de la réussite collective.