J'aimerais vous dire comment ce
conte s'appelle, mais c'est le conte qui n'a pas de nom.
Un jour, il y a bien longtemps,
un jeune guerrier eut une intuition. Il devait partir, quitter sa famille et
son village, pour trouver quelque chose.
Il ne savait pas ce qu'il
devait trouver. Ca n'était pas la force ou le courage. Ca n'était pas la
richesse d'un trésor. Ce qu'il devait trouver n'avait
pas de nom.
Il partit donc un matin, avec
seulement son arc, ses flèches, et une gourde de peau.
Au début de son voyage, il
traversait des lieux connus... Il y avait la grande forêt du nord, il la
connaissait, alors il poursuivait son chemin.
Il rencontrait encore des
habitants de son village, il les saluait par leur nom, détournait le regard, et
poursuivait son chemin.
Il voyagea ainsi pendant des
jours et des jours, seul...
Et parce qu'il était si seul
depuis si longtemps, il commençait à parler aux animaux...
Lorsqu'il venait d'atteindre un
lièvre d'une de ses flèches, il allait vers l'animal qui allait mourir et lui
disait:
"Je suis désolé pour toi
et pour ton peuple, je dois me nourrir pour continuer ma quête. Je te
remercie."
Et il lui semblait que le
lièvre lui répondait en pensée qu'il avait peur, mais qu'il comprenait, que lui
même avait sacrifié beaucoup de plantes pour vivre...
Même aux sources où il
remplissait sa gourde, il adressait sa gratitude.
Au fur et à mesure de son
voyage, les lieux lui étaient de plus en plus inconnus.
Les pierres, les plantes et les
animaux étaient de plus en plus différents.
Un soir, alors qu'il se
reposait près du feu qu'il venait d'allumer, se présenta un animal étrange.
Il n'avait jamais rien vu de
pareil, et n'en avait jamais entendu parler non plus.
Son corps était couvert de
quelque chose qui n'était fait ni de peau, ni de poils, ni de plumes ou encore
moins d'écailles...
Et comme il ne connaissait pas
cet animal, il le regardait...
Et chaque détail était
une découverte et un émerveillement...
Comme à son habitude, il se mit
à parler à l'animal: "Je n'ai jamais vu de créature comme
toi. Qui est tu?"
Et il lui sembla entendre en
réponse: "je suis celui que tu regardes, parce
que je n'ai pas de nom."
Le guerrier se réveilla le
lendemain matin, sans trop savoir si cette rencontre était un rêve ou non...
Il reprit sa marche, pendant
des jours et des jours, en traversant des contrées qui lui étaient de plus en
plus étrangères.
Et, justement, là, il ne
connaissait plus les noms des lieux...
Il ne connaissait plus les
plantes, ni les animaux... Il ignorait même tout des pierres qui ne
ressemblaient à rien de ce qu'il avait vu auparavant...
Alors, comme il ne les
connaissait pas, il les regardait.
Des vents inconnus faisaient
chanter les feuilles d'arbres étranges, et comme il ne les connaissait pas, il
les écoutait.
Et plus les jours passaient,
moins il marchait.
Il écoutait.
Il regardait.
Un jour, alors qu'il était à
nouveau assis près de son feu, l'esprit remplit de ce qu'il voyait et
entendait, il vit une femme qui s'approchait, cueillant des fruits dont il
ignorait le nom...
Alors il la regarda, et la vit
merveilleuse. Il écoutait son chant et, parce qu'il ne le connaissait pas, il
s'en laissa remplir.
De son côté, la femme avait
bien vu cet homme. Et, comme elle ne le connaissait pas, elle le regardait, et
le voyait merveilleux.
A cet instant, quelque chose se
passe entre eux...
Le guerrier ne marchait
maintenant plus beaucoup, et les jours suivants la femme revint pour ramasser
des champignons ou récolter des plantes...
Et chaque jour, parce qu'il ne
se connaissaient pas, ils se regardaient...
Et chaque jour, parce qu'ils ne
se connaissaient pas, ils s'émerveillaient...
Vint le jour où il se
parlèrent, échangeant d'abord un timide bonjour... Qu'ils écoutaient...
Chaque jour suivant s'enrichit
de quelques mots, qui restaient aussi rares qu'intenses...
Mais, curieusement, aucun ne
demanda le nom de l'autre...
Et cela s'installa.
Et comme ils ignoraient
leurs noms, ils s'écoutaient et ils se regardaient...
Comme s'ils avaient tous deux
compris que, s'ils enfermaient l'autre dans un nom, ce ne serait plus la
personne qu'ils regarderaient et écouteraient. Comme si l'absence de nom
donnait à l'autre la liberté. La possibilité d'être infiniment lui-même. D'être
toujours et encore regardé, d'être toujours et encore écouté...
On dit qu'ils vécurent ensemble
longtemps, et que chacun quitta cette vie en emportant le secret de son nom. On
dit qu'ils eurent beaucoup d'enfants, qui ne furent pas nommés, et qui
fondèrent un village sans nom où les gens, encore aujourd'hui, se regardent et
s'écoutent...
Peut-être aimeriez-vous visiter
cette contrée, ou même y vivre...
J'aimerais vous dire où la
trouver, dans quelle direction...
Mais c'est la direction qui n'a
pas de nom.
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