jeudi 19 avril 2018

Le jour qui ne veut pas s'endormir


En été, vous l’avez remarqué, les jours s’allongent, s’allongent. Ils veulent durer longtemps, longtemps. Ils ont du mal à s’endormir les jours, car ils ont tant et tant de choses à vivre, tant et tant de choses à voir, à écouter, à entendre et aussi à recevoir.

Et si jamais le lendemain, ils ne revenaient pas, ni après-demain, qu’est-ce qui arriverait?
Qu’est-ce qui arriverait aussi, si ces deux-là, mes parents, qui sont au-dessus de moi, disparaissaient, hein? « Qu’est-ce que je deviendrais, moi, le petit jour d’aujourd’hui? » s’interrogeait un enfant jour. 

C’est ce qu’ils disent tous, les jours si longs de l’été, ils ne veulent pas s’endormir du tout. Mais pas du tout, du tout, ni sur les deux oreilles ni sur leur petite joue toute douce. Ils veulent garder les yeux ouverts, la bouche ronde, les mains tendues vers l’ineffable, vers le tout de la vie.

Alors qu’est-ce qu’ils font, les jours qui ne veulent pas s’endormir? Ils vont énerver leurs parents. Ils vont tenter de les retenir, de les coincer dans le salon ou la chambre le plus longtemps possible. Ils vont aussi essayer de les séduire pour faire durer le temps plus longtemps…

« Si encore ils me laissaient un peu d’eux-mêmes, un peu de leur odeur, de leur musique, de leur présence, se disait le petit jour qui ne voulait pas s’endormir. Je sais bien que je vais avoir sommeil, je sais bien que je vais traverser la nuit, faire le tour de la terre, aller voir d’autres paysages avec des rêves. Parfois j’ai un peu peur au moment du passage, juste au moment où je vais basculer du jour…dans la nuit… »

Ainsi se parlait à lui-même un petit jour qui ne voulait pas s’endormir. Il se disait cela dans son lit, au moment fragile, délicat où il allait tomber dans le sommeil.

Car tomber dans le sommeil, ce n’est pas rien. Et si on tombait si loin qu’on ne revienne plus…?

Vous comprenez mieux pourquoi les jours parfois ne veulent pas aller se coucher, ni s’endormir, c’est parce qu’ils ont peur de tomber dans le sommeil.

Source :  Contes à guérir, contes à grandir de Jacques Salomé, Edition Albin Michel

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