jeudi 24 mai 2018

Le feuillet qui compte

Il était une fois un homme de bonne volonté́ qui voulut faire le bilan de sa vie. 
Il se mit à rechercher, parmi toutes ses erreurs, celles qu’il n’aurait vraiment pas dû commettre. « Ainsi, pensait-il, en faisant la paix avec mes « grandes bêtises » (ce furent ses propres termes), je parviendrai à faire la paix avec moi-même. » 

L’homme prit quatre feuillets. 

Sur le premier, il nota ce dont il n’était pas fier mais qui n’avait pas créé́ de dommage à autrui. Il y avait la façon dont il avait gâché́ ses talents, ses décisions irréfléchies, ses méfiances injustifiées, ses infidélités connues de lui seul, les mensonges dont personne ne s’était rendu compte, ce qu’il n’avait pas osé́ faire ou vivre et enfin tout le meilleur de lui-même qu’il avait gâché́. L’homme montra le feuillet à une vieille dame très sage qui lui dit : « ce sont effectivement des erreurs qui ne peuvent plus être réparées. Mais ce n’est pas là le plus grave... » 

Sur le second feuillet, l’homme mit les erreurs qui avaient eu des conséquences malheureuses pour les autres. On y trouvait son manque de respect, son manque d’amour, ses vengeances, les accidents ou crimes qu’il avait provoqués ou aurait pu provoquer par méchanceté́ ou négligence, ses fourberies et tout ce dont les autres avaient souffert par sa faute. La vieille dame commenta : « ce sont plus que des erreurs, ce sont des pêchés. Mais ce n’est pas le plus grave... » 

Le troisième feuillet fut rempli des erreurs dont l’homme avait tiré́ les leçons de la vie. Il y mit les épreuves sur lesquelles il avait rebondi, les pièges tendus par autrui dans lesquels il ne tombait plus, la façon dont peu à peu il avait bien organisé son existence. La vieille dame commenta : « ce ne sont plus des erreurs, mais des expériences. » 

Sur le quatrième feuillet, l’homme mit enfin les erreurs qu’il continuait à commettre tout en sachant que c’était des erreurs. Il y mit les relations malsaines qu’il n’osait pas terminer et les aimables qu’il n’osait pas nouer, les beaux projets qu’il pouvait encore entreprendre mais qu’il différait sans cesse, la façon dont il s’étourdissait pour ne pas penser au vide de sa vie, bref la façon dont il continuait à gâcher consciemment sa vie et celle des autres. 
La vieille dame lui dit : « Plus que des erreurs, c’est de la bêtise. Mais ce n’est pas le plus grave... » 

Alors l’homme demanda quelle était l’erreur la plus grave. La vieille dame prit un cinquième feuillet et écrivit : « ressasser les quatre premiers feuillets. » 

Source : François Délivré

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