mercredi 20 mai 2020

La prison des habitudes

Bertrand Russell (1872-1970) mathématicien mais aussi épistémologue, a inventé une fable pour critiquer les failles du raisonnement inductiviste*. 

Soit une dinde soucieuse de pratiquer l’approche inductive. Chaque matin, elle consigne sur un carnet, méticuleusement tenu, les compositions de la nourriture qu’elle reçoit et l’heure exacte de son repas. La dinde remarque que l’horaire ne varie pratiquement pas, et cela quels que soient le temps et les saisons ; même remarque pour la composition et le volume de nourriture. Un matin, la dinde se sent alors capable de prédire que, sur une longue période et quels que soient le temps et la saison, elle sera régulièrement nourrie à 9h36. Russell ajoute que la dinde établit cette prédiction malheureusement... à la veille de Noël. Ce jour-là, au lieu de la nourrir, on lui trancha le cou. 

Morales de l’histoire : 

1° quelle que soit la qualité des données accumulées et le nombre d’observation faites, il se peut qu’une observation future puisse rendre invalides les observations passées.

2° La dinde recueille bien des données, mais ne se pose pas la question du pourquoi : pourquoi reçoit-elle cette nourriture tous les jours ?     
Peut-être que la regrettée dinde nous livre un enseignement salutaire. L’induction est certes utile. Cependant, lorsqu’elle débouche sur de hâtives généralisations, elle peut nous engoncer dans des certitudes. En abuser c’est aussi verser dans de stériles habitudes de pensées. 

Cela nous convie à un exercice de lucidité́ qui consiste à repérer nos automatismes. Que m’a légué le passé? Une réelle expérience ou un faisceau de préjugés et de craintes? La dinde m’interpelle donc et m’aide à inaugurer ce déconfinement en reconsidérant le bien-fondé́ de mes convictions. Son funeste destin fait l’éloge de ma liberté́. Il ne s’agit nullement de congédier toutes mes opinions, ni mes saines habitudes. Simplement, un retour à soi, à l’ici et maintenant être un homme sans bagages, à savoir, un être libre, sans préjugés, sans craintes, capable de se remettre en cause.



on nomme induction une manière de raisonner qui consiste à tirer de plusieurs cas particuliers une conclusion générale. Le procédé inductif est l'inverse du procédé déductif.

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