mercredi 6 mai 2020

Les galériens de l'art

Aujourd’hui le gouvernement a dévoilé le plan de soutien aux intermittents du spectacle et autres free-lances de l’art. 

Un texte de circonstances en leur honneur. 

Paula a rallié la cohorte des travailleurs nomades, ceux qui se déplacent à longueur d'année, et parfois loin, au gré de leurs contrats, ceux-là bien distincts des stars de Twitter ou d’Instagram que l'ont fait venir à grand frais pour la soirée de lancement d'un téléphone portable, d'une ligne de maquillage ou d'un sorbet à la crevette - coiffeurs et coloristes, pâtissiers étoilés, footballeurs, chirurgiens aux dents blanches, agents de toutes sortes, chroniqueurs cultes-, et bien distincts également du prolétariat embauché à flux continu sur les chantiers qui prolifèrent à la surface du globe, la main-d'œuvre inépuisable et sous-payée qui circule dans les soutes de la mondialisation. 

Paula, elle,  joue dans une catégorie intermédiaire, les freelances, ceux que l'on engagent sur des contrats à durée déterminée et que l’on rémunère en honoraires,  et bien que travaillant en Italie depuis son diplôme, sur des chantiers variés et toujours pour des commanditaires italiens, elle n'est pas encore enregistrée à la Maison des Artistes. 

Freelance, c'est la nébuleuse, il y a les stars qui enchaînent, convoitées , le carnet de commande noirci plusieurs années à l'avance virgule et les autres, qui ne travaillent pas assez, n’ont aucune visibilité au-delà de trois semaines. 

Ceux du calibre de Paula ont tendance à tout prendre de peur qu'on les oublie,  de peur qu'on les blackliste s'ils sont indisponibles, ils achètent eux-mêmes leurs billets d'avion et de train, facturent des chambres d'hôtel low cost ou des studios meublés que le turnover des locataires a converti en investissement à fort taux de rentabilité – des turnes fonctionnelles dotée d’un bon wifi et de placards montés à la va-vite mais dont le loyer est majoré pour un torchon ou une taies d'oreiller supplémentaire - et recréent où qu'ils soient,  en quelques heures à peine, la cellule intime qu'ils habiteront durant leur séjour. Ils  parlent mal de nombreuses langues et couramment aucune, mais ont l'oreille exercée et en moins de quinze jours le timbre de leur voix change, ils prennent l'accent du pays tandis qu’une gestuelle inédite accompagne leurs récits et que leur peau se met à chatoyer à l'unisson de celles qui les entourent. 

A Rome fais comme les romains, c'est ainsi qu'ils s'encouragent. Ils sont tous terrains et polyvalents, s'adaptent à toutes les pratiques, à tous les protocoles, à tous les rythmes, c'est d'ailleurs en cela qu'ils sont utiles et c'est pour cela qu'on les embauche. 

Extrait du livre en illustration ci-dessus

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