jeudi 14 mai 2020

La salle d'attente

Dans ce livre, l’auteur d’origine iranienne raconte l’histoire d’une famille sur trois générations. Kimiâ qui narre cette saga, a dû fuir avec ses parents l’Iran parce que son père était menacé par les Khomeynistes. L’héroïne est ici dans la salle d’attente d’un hôpital à Paris. 

Un interne passe enfin la tête. indifférent au retard accumulé, il lance un nom dans l'air confiné et moite de la salle d'attente et s'éclipse. Aussitôt,  le couple assis dans le fond, comme piqué par une aiguille dans le flanc, se lève. Il glisse à petits pas le long de la rangée, se rue vers la porte, de peur sans doute que l'Interne ne change soudain d'avis et les renvoie à leur place. Tandis que le couple disparaît dans le couloir, la tension due au passage du medecinse dissout dans l'épaisseur du silence et chacun.se replie à nouveau sur lui-même.

Puisqu'il est très difficile de meubler l'attente, permettez-moi une comparaison. Si nous étions en Iran, cette salle, à l'heure qu'il est, ressemblerait à un caravansérail. Des discussions et des confidences fuseraient dans tous les sens. Chacun serait au courant de la vie de ses voisins.  Ils trouveraient plusieurs connaissances communes, voire des liens de parenté, échangeraient adresses et numéros de téléphone portable. Quelques hommes, après avoir parlé politique et s'être mis d'accord sur le fait que le pays n'avait pas plus d'avenir qu'une fosse septique, partiraient au restaurant du coin chercher à manger pour tous. Bientôt ils reviendraient, suants et tonitruants, avec des marmites remplies de riz fumant et de brochettes de viande, des assiettes en cartons et des couverts en plastique. 
Prenant aussitôt la situation en main, les femmes s'organiseraient pour servir,  et on mangerait si bruyamment que la prochaine entrée de l'interne passerait totalement inaperçue. 

L'Iranien n'aime ni la solitude ni le silence - tout autre bruit que la voix humaine, même le vacance d'un embouteillage, étant considéré comme silence. C'est Robinson Crusoé était Iranien, il.se laisserait mourir dès son arrivée sur l'île et l'affaire serait réglée. 

Cette tendance à bavarder sans fin, à lancer des phrases comme des lassos dans l'air à la rencontre de l'autre, raconter des histoires qui telles des matriochkas ouvrent sur d'autres histoires, est sans doute une façon de s'accommoder d'un destin qui n'a connu qu’ invasion et totalitarisme. Comme Shéhérazade usant de la parole pour  venir à bout de la vengeance sanguinaire du roi Shahryar envers les femmes du royaume, l’Iranien se sont enfermé dans le dilemme quotidien et existentielle de « parle ou meurs ». Raconter, compter, fabuler, mentir dans une société tout est embûche et corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de beurre peut virer au cauchemar, c'est rester vivant. C'est déjouer la peur, prendre la consolation où elle se trouve, dans la rencontre, la reconnaissance, dans le frottement de son existence contre celle de l'autre. C'est aussi l'amadouer le désarmer, l'empêcher de nuire. Tandis que le silence, eh bien, c'est fermer les yeux, se coucher dans sa tombe et baisser le couvercle. 

La démocratie et la justice sociale, la possibilité de s'appuyer sur l'administration pour régler les problèmes, ont sans doute leur part dans le fait que le Français ne sent pas le besoin de se rapprocher, de communiquer, de lancer son fil plus loin que sa mare habituelle. Il reste fermé sur lui-même, protégeant sa tranquillité et son espace vital avec la même hargne qu'une poule ses œufs. 

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