mercredi 15 septembre 2021

La flamme bleue




Il était une fois un fils de roi auquel une mauvaise fée avait jeté un sort à sa naissance : il périrait sous l’effet d’une pétale de feu bleu, s’il n’y prenait garde. Attentif à cette prédiction, le jeune prince, quand il eût l'âge d’affronter le monde,  se garda de cueillir la moindre fleur de crainte qu’elle ne recelât  le feu bleu.  

 

Un jour pourtant, son œil fut attiré par une pervenche si belle qu’il ne résista pas au plaisir de la toucher. Soudain , un rayon de lumière jaillit d'elle et ses doigts furent brûlés. Dès ce moment il fut  infiniment triste et se garda de toutes les fleurs quelles qu’elles fussent.  Était-il attiré par l'une d'elle que sa voix intérieure lui disait : « N’y  touche pas, laisse là à d’autres ! »

 

Il partit en voyage dans les pays lointains et se lança, pour oublier la malédiction, dans le monde de l'art et de la beauté.  C'est alors qu'il rencontra, en se promenant dans une forêt, une fleur merveilleuse aux pétales roux, si roux qu’il s'en approcha, convaincu qu'elle ne pouvait recéler le feu bleu.  La fleur frémissait, lui aussi. Ils jouèrent à se regarder comme le font les enfants et rêvèrent de retrouver ensemble les heures merveilleuses du passé le plus lointain. 

 

Rassuré,  le jeune homme tendit la main vers la fleur. Mais voilà que se mit à luire sous ses yeux, au cœur de la corolle, tout doucement,  la petite lueur bleue. Le prince se détourna aussitôt d'elle. Il avait compris. A quelques temps de là, comme il passait tout près, elle l’interpella : « Qu’arrive-t-il, beau prince, tu n'as plus d'attention pour moi ? » Le prince resta silencieux (sans doute était-il embarrassé)  et s’en retourna chez lui à toutes jambes. A son récit,  ses frères, ses amis éclatèrent de rire. Et ils rient encore aujourd’hui s’ils ne sont pas morts, car mon histoire n'a pas d'autre fin que celle-là. 

 

Les histoires vraies n’ont pas de fin, commenta Loulou...

 

 Mais bien souvent, au cours de sa vie, elle eut à se souvenir du « feu bleu » de Théo, de la fuite apeurée des hommes devant la femme, cette brûlure, devant elle-même, cet incendie... 

 

 

Extrait de Nicole Schneegans, Une image de Lou, Gallimard, 1996

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