vendredi 20 juin 2008

Pas de baleines (bleues) en Ukraine


Je suis T.C., poète ukrainien. Il suffit de ces initiales pour que des millions de personnes citent mon nom en entier et récitent mes vers. Bien sûr, ce sont principalement des ukrainiens, mes compatriotes. Je suis pour eux une idole, le plus grand des poètes disent mes admirateurs. Pourtant, chassé de mon pays envahi par des troupes étrangères, je suis venu en France comme nombre de mes compatriotes durant le XIXème siècle (un siècle que les moins de 100 ans ne peuvent pas connaître). Paris nous a accueilli à bras ouverts. Vivotant grâce à de nombreux métiers, nous avions plaisir à nous retrouver dans ce petit square au centre de Paris à l'ombre de la cathédrale gréco-catholique ukrainienne. Un jardin ombragé, discret, malgré sa situation le long d'un grand boulevard parisien. Plus tard, bien plus tard, mes compatriotes et la ville de Paris ont tenu à me rendre hommage en donnant mon nom à ce square. Un buste y fut érigé. Je suis fier de cette reconnaissance et j'en étais heureux. Je dis bien que j'en étais heureux. Juché sur une haute colonne, je me voyais regarder défiler les badauds (et notamment les jolies parisiennes), les oiseaux et la circulation.

Mais voilà, mon sculpteur m'a fait le regard plongeant. Alors, je regarde à quatre à cinq mètres devant moi. J'entends la vie passée, j'écoute les oiseaux chanter, je perçois les rires des parisiennes et je vois….une baleine bleue. Cette baleine, bien sûr, est un toboggan. Alors, mes seuls badauds sont des mouflets et parfois leurs mères. Je le dis tout fort : il n'y a pas de baleine en Ukraine ! Et encore moins des bleues ! Encore si le bleu était joli ou bien si le toboggan était aux couleurs du drapeau ukrainien (bleu et jaune), mais celui-là est fort criard et me fait mal aux yeux.

Monsieur le sculpteur (ou madame, je ne sais), mettez-vous dans la peau de votre personnage. Regardez où portera le regard. Etre condamné à vie à regarder le ciel ou ses pieds quand la vie grouille autour de soi, c'est frustrant.

Messieurs ou mesdames les gestionnaires des squares parisiens, permettez-moi de vous dédier ces quelques vers

Gare aux baleines bleues
Même sous forme de toboggan
Elles ternissent les squares


Tarass Chevtchenko (1814-1861) est considéré comme le père de la littérature ukrainienne.
Son plus célèbre poème (Testament)

Quand je mourrai, enterrez-moi
En dressant ma tombe
Au cœur des steppes infinies
De ma chère Ukraine.
Pour que je voie les champs immenses,
Le
Dniepr et ses falaises
Et pour que je puisse entendre
Son grondement puissant.
Quand de l'Ukraine il portera
Jusqu'à la mer bleue
Le sang ennemi, alors
J'abandonnerai
Montagnes et prairies et m'envolerai
Vers Dieu pour prier.
Mais jusque là,
Dieu m'est inconnu.
Enterrez-moi. Mais vous — Debout !
Brisez vos chaînes
Et abreuvez la Liberté
Avec le sang des ennemis.
Puis, dans la grande famille,
La famille libre et nouvelle,
N'oubliez pas de m'évoquer
À voix basse, tendrement.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Helas, Taras Chevtchenko n'a jamais été en France.
Né esclave dans un village ukrainien, il est assoiffé de la connaissance et de la beauté. Orphelin, il travaille comme un garçon de service à l'école locale où il prend ses premiers cours. Il apprend à lire-écrire et à dessiner.
Devenant "kazatchok", le valet de chambre de pan (maître et son propriétaire (esclavage en empire russe n'a été supprimé qu'en 1861)), il fait remarquer son talent de peintre.
C'est à cette époque il se pose des questions sur la condition humaine de la vie d'autres serfs. Les maitres étaient très souvent des gens cruels qui traitaient leurs esclaves comme bon leur semblait. jeune Tarass est souvent battu. ce n'est pas le pire, d'autres grands segnores pouvaient tuer leurs serfs s'ils le voulaient...
bref, également c'était bien à la mode de se croire "Louis XIV- mecenat des artistes" et créer des theatres des domestiques/esclaves ou avoir son propre peitre (en sens propre des mots). Tarass est envoyé à faire ses études à l'Academie de la peinture à Saint-Pétersbourg. La-bas il est remarqué par ses talents et le plus important - il fait connaissance avec les futures peintres etoiles - les gens libres et nobles. ils ne comprennent pas comment un artiste peut être un esclave. ils se cotisent et rachetent Chevtchenko à son maitre. Chevtchenko est libre, connu comme peintre et comme poete. Il enseigne à l'Université de Kyiv et participe dans la vie sociale et politique, si j'ose dire. pour cela il est arreté par la police (c'est l'époque de la Réaction, après la tentative d'une revolution de 1825). Il est envoyé en Asie Centrale comme un simple soldat (une sort de punition pratiquée à l'époque pour les prisonniers politiques). le service obligatoire durait à l'époque 25 ans. bref, même interdit de travailler, Chevtchenko arrive à peindre et écrire dans les steppes de Kazakhstan. Plusieurs année plutard epuisé, il revient en Ukraine. Il n'a rien changé de ses points de vue...
c'est dans les traits très grossiers que j'ai essayé de vous parler un peu de Taras Chevtchenko.
toute sa vie il a lutté contre l'esclavagisme.
Il est mort à l'age de 47 ans, le 13 mars 1961... quelques jours avant l'accomplissement de son reve - abolition de l'esclavage en Russie!
On peut dire que Chetvchenko est notre Hugo et Voltaire, Zola et Balzac. et plus encore. ce simple paysan, a travaillé dur, a su développer ses talents, il a créé une base de notre identité nationale.

Pour plus d'info:
http://www.france-cei.fr/imprimer.php3?id_article=2544
http://en.wikipedia.org/wiki/Taras_Shevchenko

ps: merci pour la baleine bleu. Je suis sûre que l'image des enfants du square plaira à Taras. il n'a pas pu créer une famille et avoir des enfants, mais le sujet de maternité, d'une mère et d'un enfant apparaissent souvent dans ses poesies.
pour les poesies:
http://membres.lycos.fr/mazepa99/FRA/OUP-FRA/CHEV-T.HTM

Anonyme a dit…

désolée d'avoir été longue.
1961 est bien sûr 1861.

DALettres a dit…

Merci pour votre commentaire. J'avais effectivement lu en faisant des recherches qu'il n'avait jamais pu venir en France; J'ai joué de ma liberté d'écrivain. En fait, je suis passé dix mille fois devant ce square...sans le voir.