dimanche 7 décembre 2008

C'est la faute au faux hêtre


- Chef, on a volé un arbre.
- Agent des jardins publics Gontran, buvez moins. Rappelez-moi quand vous sera à jeun.
- Chef, je n'ai pas beaucoup bu ce matin, enfin pas plus que d'habitude. Je vous écoute, chef. Mais on a réellement volé un arbre. J'ai regardé. J'ai même cherché à le toucher pour voir si ce n'est pas le brouillard ou un effet d'optique.
- Quel arbre a-t-on volé ?
- Le faux hêtre du Chili.
- Quoi ! Celui inauguré récemment par le ministre de l'écologie et de l'environnement, le maire de Paris et l'Ambassadeur du Chili ! Cela fait à peine un mois. A quelle heure avez-vous constaté cela ?
- Dans le milieu de la matinée. En faisant un tour, j'avais l'impression qu'il manquait quelque chose. J'ai trouvé. C'est cet arbre.
- Il faisait quelle taille déjà ?
- Trois mètres de haut ! Il avait fallu deux équipes de jardiniers et un camion grue pour l'installer.
- Alors, comment a-t-il pu se volatiliser ? Vous vous êtes renseignés si quelqu'un a vu quelque chose ?
- Personne n'a rien vu.
- Je préviens la police. Il y a un grand trou à la place ?
- Non, chef, pas de trou et c'est bizarre : la terre est dure.
- J'arrive !
Une heure plus tard, le responsable des parcs arrive accompagné de policiers. Ils ne peuvent que constater la disparition de l'arbre. L'enquête démarre mollement.
Le lendemain, tout s'accélère. La nouvelle étant parvenue jusqu'au ministère, le responsable des parcs reçoit un appel d'un conseiller du ministre :
- C'est quoi cette plaisanterie ?
- Ce n'est pas une plaisanterie, monsieur le conseiller. Un arbre a disparu.
- Vous vous rendez compte du scandale !
- Oui, mais nous faisons le nécessaire pour le remplacer.
- Vous n'y êtes pas ! Ce n'est pas un arbre comme les autres. En fait, le Chili hésite à nous acheter des chars Leclerc, ce char extraordinaire que nous n'arrivons à vendre personne. Même l'armée française n'a pas les moyens (ni l'envie d'ailleurs) de l'acheter. Tous les ministères sont mobilisés là-dessus. Cet arbre fait partie de notre stratégie pour amadouer les chiliens. Pour cela, nous avions choisi le jardin de l'Atlantique. Vous voyez le symbole ?
- "Oui, oui", dit le responsable en transpirant à grosses gouttes, "mais…je ne savais pas que le Chili était au bord de l'Atlantique ?"
- Oui, euh non, enfin ce n'est pas important, c'est un symbole. Ah, ça y est ! Oui effectivement, c'est sur le Pacifique. Vous avez un square du Pacifique ?
- Euh, non, mais on peut en changer un de nom, peut-être ?
- Trop tard. Je préviens l'Elysée.
Dès potron-minet le lendemain, plusieurs cars de gendarmes mobiles encerclent les lieux. Des hordes d'inspecteurs s'abattirent dans les logements et les bureaux qui entourent le parc, interrogeant toutes les personnes. Des spécialistes de la police scientifique analysent le sol à la recherche d'empreintes. Le mystère est total. Personne n'a rien vu. Le jardin est clos la nuit par de grandes grilles surplombées par des immeubles. Les films des caméras de vidéosurveillance sont formels : rien à signaler.


Dans le même temps, une équipe de professeurs du muséum des sciences naturelles sont convoqués : où et comment trouver un autre arbre similaire ? Leur réponse est unanime : cet arbre ne pousse qu'au Chili. En France (et en Europe), il y a de vrais hêtres, pas des faux. Donc il faut en acheter là-bas. Les services secrets reçoivent l'ordre de trouver un faux hêtre. Des avions-cargos militaires français partent discrètement en opération sur place, dans le cadre d'un soutien à des pécheurs de baleine en difficulté dans la région.

Malheureusement, suite à un banal contrôle de police, les agents se font prendre sur place avec l'arbre. Or, c'est une espèce protégée. Les mouvements écologistes montent au créneau parlant du piratage des arbres. Le scandale devient retentissant. Finalement, le Président de la République monte au créneau ("faut que je m'occupe de tout, ce n'est pas possible !") désavoue les ministres concernés (qui n'osent dire qu'ils ont suivi ses ordres) et finalement s'envole vers le Chili pour en finir avec cette querelle. Moyennant le prêt (gratuit) de deux chars Leclerc, la présidente du Chili accepte d'oublier l'incident et de regarder d'un œil favorable la candidature de la France à l'appel d'offres de l'armée chilienne. Les choses s'annoncent bien, parce que le choix du char est restreint à peu de concurrents : les Américains, les Russes, les Brésiliens, les Israéliens, les Chinois, les Anglais, les Allemands, les Indiens et Wallis et Futuna.

Sur ordre du Président, le ministre de l'environnement va rendre visite à l'Ambassadeur du Chili pour lui demander un nouvel arbre. Il s'engage à ce que l'arbre soit gardé 24/24 par l'armée. Celui-ci sourit et lui répond : "En fait, nous vous avions offert un faux hêtre. J'ai reçu l'ordre de l'acheter à Jardiland."
- Mais c'est du vol ! reprend le ministre.
- Quel vol ? Il y a bien marqué "faux hêtre du Chili" ? vous auriez replanté un hêtre français, il serait devenu naturellement un faux hêtre du Chili !

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