samedi 19 décembre 2009

La mise en pointillé de la solidarité


Il était une fois un homme qui recherchait quelque chose sous un réverbère. Un quidam le vit et lui proposa son aide. L'homme le remercia et lui dit qu'il cherchait ses clefs. D'autres passants et même un sergent de ville se joignirent à eux. Devant leur insuccès, le sergent de ville insista pour savoir si c'était bien là qu'il avait perdu ses clés. "Je ne sais pas" répondit l'homme, "mais ici, il y a de la lumière."

Le sergent de ville remonta l'histoire au commissaire qui fit à son tour un rapport au maire. Ce dernier rassembla le conseil municipal pour analyser la situation. Les élus de la majorité (de la ville) proposèrent de créer un marquage au sol pour délimiter les zones où les pertes de clés seraient autorisées. L'opposition s'en émut. Elle estima qu'il s'agissait d'un manque de liberté : "chacun a le droit de perdre ses clés où il veut". Le débat aurait pu tourner court si les élus de tendances extrêmes ne s'étaient mis de la partie. Certains voulaient de la lumière partout pour créer un avenir radieux où perdre ses objets seraient un jeu. D'autres, au contraire, qui rêvaient du Grand Soir, voulaient supprimer tous les réverbères.

Voyant le débat mal parti, la majorité et l'opposition modérée s'unirent pour choisir un tracé en pointillé. L'accord se fit autour du texte suivant :

Article 1 : dans le souci d'assurer la sécurité des citoyens, le conseil municipal a décidé de marquer au sol la zone de lumière des réverbères.
Article 2 : il est recommandé aux citoyens de perdre leurs objets uniquement dans la zone délimitée au sol.
Article 3 : compte tenu de l'inégalité des administrés en termes de vision nocturne, il a été décidé de peindre une zone en pointillé. Les personnes de plus de cinquante cinq ans ou détenteur d'un certificat médical sont tenus de perdre leurs objets uniquement à l'intérieur de la zone délimitée. Les autres personnes peuvent aller, dans la limite du raisonnable, aller au-delà de cette zone.
Article 4 : les habitants doivent noter que l'allumage et l'extinction des réverbères peuvent être parfois en décalage avec le lever du soleil ou la tombée de la nuit. Aucune réclamation ne sera acceptée pour des objets perdus entre chien et loup ou loup et chien.

L'ordre étant ainsi assuré, les élus se congratulèrent mutuellement pour à la fois leur prise en compte des intérêts des habitants de la ville et leur contribution au développement économique. En effet, ce travail relança la production de peinture, ce qui créa des emplois, réduisit le chômage et l'argent dépensé facilita la consommation.

Bien sûr quelques esprits chagrins observèrent que la peinture achetée au mieux disant avait été produite ailleurs, que les emplois créés étaient temporaires et que les investissements faits avaient bénéficié à des entreprises et personnes vivant hors de la ville. "Qu'importe" leur répondirent les élus, "nous faisons tous partie de la même communauté. C'est cela la solidarité".

PS : l'histoire ne dit pas si la personne a retrouvé ses clés.

Aucun commentaire: