vendredi 21 août 2015

Histoire du méchant petit garçon

Il y avait une fois un méchant petit garçon qui s’appelait Jim. Sa mère ne se tourmentait pas outre mesure à son sujet. Elle avait coutume de dire que s’il se cassait le cou, ce ne serait pas une grande perte. Elle l’envoyait coucher d’une claque, et ne l’embrassait jamais, pour lui souhaiter bonne nuit. Au contraire, elle lui frottait les oreilles quand il la quittait pour dormir.

Avec lui, rien ne se passait comme dans les livres d’histoire. 

Un jour ce méchant petit garçon vola la clef de l’office, s’y glissa, mangea de la confiture, et remplit le vide du pot avec du goudron, pour que sa mère ne soupçonnât rien. Il n’eut aucun remords, comme il est de tradition dans les livres de contes, et se mit à rire. Quand elle découvrit la chose, il affirma qu’il ignorait ce qu’il en était. 

Un autre jour, il grimpa sur le pommier du fermier voisin, pour voler des pommes. La branche ne cassa pas. Il ne tomba pas et ne se cassa pas le bras. Oh  non ! Il prit autant de pommes qu’il voulut, et descendit sans encombre. Rien de semblable jamais dans les livres d’école.

Il déroba, une autre fois, le canif du maître d’école, et, pour éviter d’être fouette, il le glissa dans la casquette de Georges Wilson, le fils de la pauvre veuve Wilson, le jeune garçon moral, le bon petit garçon du village. Quand le canif tomba de la casquette, et que le maître en colère l’accusa, on ne vit pas apparaître soudain, l’attitude noble, au milieu des écoliers, un improbable juge de paix, pour dire : « Épargnez ce généreux enfant. Voici le coupable et le lâche. »  Non. Les choses se seraient passées ainsi dans les livres, mais ce ne fut pas ainsi pour Jim. Aucun juge ne tomba là pour tout déranger. Et l’écolier modèle Georges fut battu.  

Il y avait dans la vie de Jim, quelque chose de magique. C’est sans doute la raison. Rien ne pouvait lui nuire. Il donna même à un éléphant de la ménagerie un paquet de tabac au lieu de pain, et l’éléphant, avec sa trompe, ne lui cassa pas la tête. Il alla fouiller dans l’armoire pour trouver la bouteille de pippermint, et ne but pas par erreur du vitriol. Il déroba le fusil de son père et s’en alla chasser; le fusil n’éclata pas en lui emportant trois ou quatre doigts.

Et il grandit et se maria, et eut de nombreux enfants. Et il s’enrichit par toutes sortes de fourberies et de malhonnêtetés. Et à l’heure actuelle, c’est le plus infernal damné chenapan de son village natal, il est universellement respecté, et fait partie du parlement.

Mark twain (1835-1910)

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