Il y avait une fois un méchant petit garçon qui s’appelait Jim. Sa mère ne se tourmentait pas outre mesure à son sujet. Elle avait
coutume de dire que s’il se cassait le cou, ce ne serait pas une grande perte.
Elle l’envoyait coucher d’une claque, et ne l’embrassait jamais, pour lui
souhaiter bonne nuit. Au contraire, elle lui frottait les oreilles quand il la
quittait pour dormir.
Avec lui, rien ne se passait comme dans les livres d’histoire.
Un jour ce méchant petit garçon vola la clef de l’office, s’y glissa,
mangea de la confiture, et remplit le vide du pot avec du goudron, pour que sa
mère ne soupçonnât rien. Il n’eut aucun remords, comme il est de tradition dans
les livres de contes, et se mit à rire. Quand elle découvrit la chose, il
affirma qu’il ignorait ce qu’il en était.
Un autre jour, il grimpa sur le pommier du fermier voisin, pour voler
des pommes. La branche ne cassa pas. Il ne tomba pas et ne se cassa pas le
bras. Oh non ! Il prit autant de pommes qu’il voulut, et descendit
sans encombre. Rien de semblable jamais dans les livres d’école.
Il déroba, une autre fois, le canif du maître d’école, et, pour éviter
d’être fouette, il le glissa dans la casquette de Georges Wilson, le fils de la
pauvre veuve Wilson, le jeune garçon moral, le bon petit garçon du village.
Quand le canif tomba de la casquette, et que le maître en colère l’accusa, on
ne vit pas apparaître soudain, l’attitude noble, au milieu des écoliers, un
improbable juge de paix, pour dire : « Épargnez ce généreux enfant.
Voici le coupable et le lâche. »
Non. Les choses se seraient passées ainsi dans les livres, mais ce ne
fut pas ainsi pour Jim. Aucun juge ne tomba là pour tout déranger. Et l’écolier
modèle Georges fut battu.
Il y avait dans la vie de Jim, quelque chose de magique. C’est sans
doute la raison. Rien ne pouvait lui nuire. Il donna même à un éléphant de la
ménagerie un paquet de tabac au lieu de pain, et l’éléphant, avec sa trompe, ne
lui cassa pas la tête. Il alla fouiller dans l’armoire pour trouver la
bouteille de pippermint, et ne but pas par erreur du vitriol. Il déroba le
fusil de son père et s’en alla chasser; le fusil n’éclata pas en lui emportant
trois ou quatre doigts.
Et il grandit et se maria, et eut de nombreux enfants. Et il s’enrichit
par toutes sortes de fourberies et de malhonnêtetés. Et à l’heure actuelle,
c’est le plus infernal damné chenapan de son village natal, il est
universellement respecté, et fait partie du parlement.
Mark twain (1835-1910)
Version complète sur http://short-edition.com/classique/mark-twain/histoire-du-mechant-petit-garcon
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