Il était une fois une petite otarie qui vivait dans un zoo.
C'était un zoo si grand qu'on avait l'impression d'y vivre en liberté. Il était
aménagé à l'image du monde extérieur. avec des écoles, des magasins, des
maisons et toute une organisation sociale.
A l'école, les petits des animaux apprenaient très tôt un métier
et la règle était généralement de poursuivre l'activité des parents.
La petite otarie adorait l'école et c'était une élève très
appliquée. En plus des cours de langue, de diététique et de savoir-vivre, elle
apprenait à jongler comme toutes les otaries de sa famille et ses amies.
Elle apprenait à recevoir de jolies balles de couleur sur son nez et à les
renvoyer.
Elle s'entraînait aussi à ramper sur le sol glissant en suivant
le rythme de la musique. Elle apprenait à pousser sa coéquipière dans l'eau du
bassin pour faire rire les enfants aux éclats. Elle apprenait même à monter sur
un escabeau et à passer au travers d'un cerceau. Le plus difficile était de se
tenir bien droite et d'applaudir avec ses petites nageoires. Mais ce qu'elle
aimait plus que tout, c'était d'attraper les poissons argentés que lui lançait
à la volée son beau partenaire. Toutes les aspirations de cette petite otarie
étaient tournées vers le jour où elle pourrait enfin atteindre le sommet de son
art et entrer comme une grande sur la piste du cirque.
C'était le destin vers lequel tout convergeait à la préparer
mais c'était aussi son plus grand désir. Elle ne vivait que dans cet espoir et
attendait avec impatience ce grand jour. Cependant, malgré cette vie bien
remplie de petite otarie, elle n'était pas vraiment heureuse. Elle se sentait
mal à l'aise, sans pouvoir en exprimer la raison.
Ses amies les girafes, elles, semblaient si heureuses de brouter
les feuilles des arbres. Les flamands s'envolaient joyeusement en magnifiques
nuées roses. Les singes passaient leur temps à se faire des blagues et les
lions se réjouissaient d'effrayer les antilopes en baillant à pleine gueule.
Même les rhinocéros placides s'ébattaient gaiement avec les éléphanteaux.
Plus le temps passait et plus la petite otarie se demandait
pourquoi elle ne parvenait pas à être heureuse.
Son ami le phoque lui répétait souvent : " Tu as tout pour
être heureuse, tu apprends un bon métier, tu es douée pour l'exercer et dans
peu de temps, tu seras consacrée. Qu'est-ce que tu pourrais souhaiter de mieux
? "
Un matin, alors que la petite otarie se réveillait une fois de
plus morose, elle eut comme une illumination en observant les petits singes
jouer à la balle. Ils semblaient prendre tellement de plaisir avec cette balle
qu'elle se mit à réfléchir sur son propre comportement. Certes, elle
s'appliquait à exécuter toutes les tâches qu'on lui enseignait et en
particulier jouer à la balle mais ça ne lui procurait pas le plaisir que
semblaient ressentir les petits singes.
C'était pour elle comme un devoir et elle était trop tendue par
l'inquiétude de ne pas être capable d'entrer un jour en piste et par
l'obsession de bien faire pour prendre plaisir à ses exercices.
Ce fut comme une révélation pour elle. A compter de ce jour,
elle n'eut plus la même façon de travailler à l'école. Elle découvrit, au-delà
de l'exercice, le plaisir de jouer à la balle. Elle comprit que ce n'était pas
parce qu'on la destinait à ce métier qu'elle devait délaisser tout ce qui n'y
était pas lié. Il ne fallait pas travailler d'arrache-pied à la réalisation de
ce projet en laissant filer les autres joies de la vie. En peu
de mots, elle découvrit que son destin était entre ses mains à elle et
qu'il lui appartenait de profiter du présent et de ses petits bonheurs plutôt
que de rêver à un grand bonheur futur et insaisissable.
Ce fut le premier jour de sa nouvelle existence. On la vit rire
de tout et de rien, des facéties des singes et de ses difficultés à applaudir
au rythme de la musique. On la vit s'entraîner le sourire aux lèvres, ivre du
plaisir de progresser.
Et on la vit même un jour, nimbée de perles d'eau, jaillir sur
la piste du cirque, sous les regard émerveillés des enfants et les
applaudissements frénétiques de tous.
Et tout en se disant que c'était alors le plus beau jour de sa
vie, elle souriait intérieurement car elle avait compris que chaque jour
pouvait être le plus beau jour de sa vie.
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