jeudi 12 mars 2020

Qu’y a-t-il sous votre papier peint ?

Dans son livre « 209 rue Saint Maur Paris Xème », Ruth Zylberman raconte la vie, depuis ses origines (vers 1860) d’un immeuble parisien, avec les locataires et les propriétaires qui s’y succèdent. Un livre mi-historique, mi-journalistique qui a fait l’objet d’un film.

Cet immeuble, situé dans un quartier populaire, a vu se succéder les vagues successives de migrants vers la capitale : ouvriers venus de la Creuse ou d’autres régions de France, juifs d’Europe centrale, Espagnols et plus proches de nous, Portugais, Maghrébins...

« Qu’y a-t-il sous votre papier peint ? » écrivait Georges Perec dans l’Infra-ordinaire. Dans le logement où vous vivez, savez-vous ce qui s’y est passé ? Combien d’histoires d’amours ? Combien de drames ? Certains habitants y sont restés longtemps, quand d’autres n’y ont fait que passer. Parfois même, le hasard fait des pieds de nez et le passé rejoint le présent. 

En voici une illustration.  C’est l’histoire de Jean-Luc qui a racheté plusieurs studios (je devrais dire chambres ou petites pièces) pour se faire un appartement. 

« Quand j’ai annoncé à mes parents qu’on avait trouvé un appartement au 209 rue Saint Maur, ils passaient quelques jours en Bretagne avec un couple plus âgé qui avait été très proche de ma grand-mère, la mère de mon père. Et ce couple n’arrivait pas à croire que nous étions arrivés à cette adresse par hasard, ce qui est pourtant le cas. Ils ont alors raconté à mes parents une histoire que toute la famille ignorait, à commencer par mon père. Mon arrière-grand-mère, la grand-mère de mon père était mariée et avait une famille, deux filles. Elle était bonne ou dame de compagnie. Toujours est-il qu’elle est entrée au service d’un homme veuf. 

C’était un artisan, boucher ou charcutier, qui avait une boutique un peu plus bas, vers la rue Marie Louise, derrière l’hôpital Saint Louis. Il habitait ici au 209, avec sa fille, et mon arrière-grand-mère est entrée à son service pour s’occuper de la petite fille. Une liaison s’est nouée entre eux. Et c’est de cette liaison qu’est née ma grand-mère. Elle a été conçue ici au 209. 

On est tous tombé des nues : personne dans la famille ne connaissait cette histoire, le secret avait été bien gardé...  et nous avions acheté par hasard un appartement à cette adresse. 

(L’auteur continue) Jean-Luc n’est pas plus ému que cela. Il termine sa cigarette, sa bière, et à nouveau son regard se perd vers l’immeuble moderne et le ciel bleuté, mais moi, je ne peux m’empêcher de penser non seulement à hasard étonnant que d’autres appelleraient providence, mais aussi à cette improbable résurrection, malgré les silences, les secrets, les éloignements, de cette histoire d’amour enfouie, ici même, sous les parquets, derrière les murs.

Combien d’histoires d’amour ? De drames ?  « Qu’y-a-t-il sous votre papier peint ? Je gratte.      

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