samedi 23 mai 2009

Où sont-ils passés ?


Cela fait bientôt deux ans que j'habite en banlieue. Ce n'est pas de gaîté de cœur, mais j'y trouve quelques avantages : mon travail aussi est en banlieue, alors cela m'en rapproche. Je n'ai plus que 40 minutes de trajet pour quatre petits kilomètres. J'ai même maintenant un petit coin de pelouse que je partage, il est vrai, avec le reste de la copropriété.

Deux ans, durant lesquelles le hasard a fait que je n'ai pas été à la Ville Lumière, deux ans au cours desquels j'ai fréquenté les cinémas et les théâtres de mon quartier. J'y trouve bien du plaisir à vivre ici : c'est plus calme, plus aéré et j'ai toujours la possibilité de monter à la ville en 20 minutes de train. Le plaisir à portée de main.

J'aurai pu attendre encore pour y retourner parce que rien ne m'y obligeait. Pourtant des rumeurs et des bribes de conversation pêchées qui chez le boulanger, qui à un arrêt d'autobus me laissaient penser que des choses avaient changé et que ce n'était plus comme avant. Le ton employé aussi est bizarre : il n'est pas joyeux ou triste, mais feutré, énigmatique, empreint d'étonnement et de résignation.

Alors, un samedi, je n'y tiens plus : je décide d'y aller. J'arrive dans ma gare de banlieue déserte. Personne au guichet, des machines automatiques m'invite en quatorze langues à prendre un billet que je peux payer en carte bancaire ou en 18 espèces différentes. Le train arrive. Du monde, du silence et là première surprise : je constate que la panoplie des journaux lus par mes voisins est devenue étonnement variée : des caractères des quatre coins du monde me frappent aux yeux. Nous sommes devenus polyglottes.

Arrivé à la Ville lumière, je déambule dans les rues. A première vue, rien de particulier : les autobus et le métro sont là, les commerçants aussi, le trafic est toujours soutenu et bruyant. Pourtant, il me suffit de lever le nez pour m'apercevoir des changements. Une plaque apposée sur un immeuble m'interpelle avec ses idéogrammes et son numéro de téléphone en chiffres latins. Est-ce un pied de nez de son propriétaire ? Un rébus ? Une manière de dissuader les opportuns ? Je continue mon périple et rencontre de nombreuses plaques ou enseignes similaires. Je me dis qu'il s'agit d'un hasard. Je descends alors dans le métro et décide de changer de quartier.

A mon grand étonnement, le métro n'a pas de conducteur et semble très bien s'en porter. J'en sors au hasard quatre stations plus là et je reprends ma balade. Là, à première vue, tout semble plus habituel, je peux lire les plaques et les enseignes (sans forcément les comprendre). Je passe devant une école et pense à toutes ces petites têtes blondes qui ânonnent l'alphabet et paieront ma retraite demain. Le choc n'en est que plus grand : le panneau d'information comprend un long texte en signes bizarres avec en petit, à côté, un texte en français (la traduction je suppose). Qu'apprend-t-on dans cette école ? Qu'y forme-t-on ? Pourtant, j'ai beau regarder dans tous les sens, il s'agit bien d'une école publique et son panneau d'affichage est aux normes de la municipalité.

"Reste calme", me dis-je ! Je me rappelle d'un film de James Bond où le méchant lui explique que croiser quelqu'un une fois, c'est la vie, deux fois c'est le hasard, mais que trois fois, c'est une provocation. "Donc c'est le hasard, change vite de quartier et tout redeviendra normal" me répéte-je. Je change de métro, compte dix stations et me voici dans un nouveau quartier. Je regarde attentivement autour de moi : à priori tout semble normal. Je décide de vivre comme un "étranger" (qu'est-ce qu'un banlieusard aux yeux d'un parisien ?) : je me promène en regardant à droite et à gauche (le Parisien, lui, fonce tête baissé). Je regarde les étals et les vitrines. Je me sens heureux et détendu jusqu'au moment où je passe devant une agence immobilière dont… je ne peux lire les annonces. Je cours frénétiquement en voir une seconde, puis une troisième. Le même phénomène se reproduit. J'essuie mes lunettes, je ferme les yeux quelques instants, je me pince pour m'assurer que je ne rêve pas… Peine perdue ! Je ne peux lire les panneaux (sauf les chiffres). Cela ne semble gêner personne autour de moi. Les passants regardent ces mêmes vitrines, commentent les offres et continuent paisiblement leur chemin.


C'en est trop ! Je retourne dans ma banlieue, là où je peux tout lire. Je me demande : "où sont-ils passés ?" Je dois penser tout haut parce que mon voisin dans le train me répond sans me regarder : "ils sont en RTT". Tout s'explique !

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