vendredi 29 mai 2009

Les deux roues m'ont tuée


90 ans de bons et loyaux services et me voila murée. 90 ans pendant lesquels j'en ai accueilli du monde : les travailleurs du matin et du soir, les sans-logis de la nuit, les touristes de la journée… 90 ans de vie dure et laborieuse entre les journées froides de l'hiver, la canicule de certains étés, les jours sans fin, les guerres, les grèves et les joyeux défilés.

Me voilà maintenant murée et condamnée à me taire. Mon silence est éloquent : ne descendez pas ! Je suis un cul de sac ! Le comble de l'histoire, c'est l'hypocrisie dont je fais l'objet : mes escaliers sont entretenus, mes rambardes repeintes et je reste propre et coquette dans la limite des graffitis qui sont tracés sur mes murs. Encore s'il s'agissait d'œuvres artistiques. Le plus souvent ce sont des signes de passage comme les chiens qui pissent pour marquer leur territoire. Je rêve comme au marché de Belleville d'authentiques artistes qui me donnent une note originale, qui donnent envie de faire un détour pour venir me voir et me donnent une singularité.

Le pire, ce sont les deux roues. C'est à cause d'eux que j'ai été fermée. Mes clients ont préféré un beau jour se déplacer à l'air libre. Parlons-en de l'air ! De l'air polluée, une circulation d'enfer, des chutes et accidents quotidiens (je le vois bien sur le boulevard qui me jouxte). Parlez-moi de la convivialité, chacun sur un deux roues à se faufiler sans un mot, sans un regard. Pas étonnant que les gens se plaignent de la solitude. De mon côté je peux être fière des rencontres que j'ai facilitées, dans mes escaliers, mes couloirs, mes quais. De nombreux amours brefs ou éternels se sont noués (et parfois dénoués) ici. Certains reviennent nostalgiques pour fêter qui l'anniversaire d'une rencontre, qui revivre un moment de poésie. Je le vois bien à leur regard, je les reconnais mes amoureux.

Il n'y a plus de respect aujourd'hui. Non content de m'avoir contraint à la retraite, regardez-les ces deux roues qui encerclent mon entrée. Ils sont agressifs, me cognent ma belle rambarde et me projettent leurs gaz. Ils se disputent les places entre eux et s'invectivent à grand coup de poignée d'accélérateur. Leurs propriétaires me traitent de vieux débris, de places perdues et font des pétitions pour que je sois remplacée par une grande surface goudronnée pour pouvoir garer encore plus de leurs engins maudits. Et ils se disent "écologiques".

C’est quoi l'écologie ! Chaque rame de métro transporte des centaines de gens discrètement. Mes escaliers et mes couloirs contribuent à la bonne santé de tous grâce à l'exercice demandé et ce sont les deux roues qui se proclament écologiques. Quand il pleut, qu'il neige ou qu'il fait très chaud, ils sont pourtant bien contents ces écologistes gazeux de m'emprunter.

Pourtant, je crois à mon retour sur le devant de la scène. La canicule presque chaque été, le prix de l'essence et le retour en vogue des trams et autres transports collectifs me font dire qu'ils me rouvriront. Après tout, le travail des seniors est d'actualité : travailler plus longtemps, disent-ils. Je suis d'accord. Je me sens encore très verte.

Alors, merci de m'avoir écouté. Si vous le souhaitez, vous pouvez signer la pétition pour ma réouverture. D'avance merci

"Oui, je souhaite la réouverture de la station"

Nom date Signature .

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