dimanche 14 juin 2009

La quête du sens


Dans la bonne ville de V… sur M… au sein d'une grande agglomération, vous pouvez voir sur belle pelouse face à la mairie, un embranchement ferroviaire. Pas de liaison, pas de gare, pas de train, pas de projet prévu, non un simple croisement ferroviaire au milieu d'un espace vert. Cela a-t-il du sens ? Laissez-moi vous conter son histoire.

Il était une fois un Maire qui voulait se faire réélire. Il se tourna vers un de ses conseillers municipaux et lui dit : "la mode est à l'écologie. Il faut réduire la circulation automobile. Pour cela, nous allons construire un petit train qui desservira la ville depuis la gare (parce qu'il existait un vrai train qui reliait la ville aux autres communes). Je te charge de réaliser le premier tronçon. Pour moi, créer un petit train pour protéger ma ville, cela a du sens. " Le conseiller était fou de joie. Pour lui, cela avait un autre sens : il allait réaliser l'œuvre de sa vie, réaliser un vrai train.

Il en parla à sa femme, sa famille, ses amis, ses voisins….L'histoire arriva aux oreilles d'une vieille femme qui lui dit : "Mon pauvre, ton projet n'a pas de sens, tu vas passer sept épreuves, mais ce sera un lieu de repos pour ton grand âge." Notre conseiller la prit pour une folle et ne l'écouta pas.

Pourtant, les épreuves arrivèrent sans tarder. La première fut celle de la délibération du conseil municipal. Aux cris de "liberté pour les vélos", l'opposition mena campagne contre le petit train. Pour celle-ci, faire un réseau de chemin de fer n'avait pas de sens, à une époque où tout le monde a un vélo. L'épreuve suivante fut liée à l'hostilité des riverains. Conduits par M. Bobo, un écologiste libéral ouvert aux nouvelles idées tant que cela ne le dérangeait pas dans son quotidien, les riverains manifestèrent contre le manque de sens de perdre de la place de stationnement avec les travaux occasionnés par le futur réseau. Il fallut négocier, faire des compromis et surtout s'éloigner du domicile de M. Bobo, qui était pour le progrès, mais pas devant chez lui. Notre conseiller municipal crut que le projet allait mourir quand les agents du (vrai) chemin de fer se mirent en grève en parlant de la fin du sens du service public. Il réussit à les calmer en leur offrant la gratuité sur le futur réseau à eux et à leur famille. De compromis en compromis, son projet était déjà bien écorné.

Pourtant, notre conseiller gardait la foi. "Il vaut mieux commencer petit. Plus tard, ils comprendront." D'autres épreuves l'attendaient : la rébellion des commerçants de la gare qui disaient du projet qu'il n'avait pas de sens et qu'il allait les asphyxier, la colère des chauffeurs de taxi qui bloquèrent les rues parce qu'ils donnaient à ce projet le sens qu'ils allaient perdre leur gagne-pain et la trahison du Maire. Lorsqu'il fut l'heure de recevoir le matériel, notre conseiller ne reçut en tout et pour tout que cet embranchement. "Comprends-moi" dit le Maire, il faut faire rêver sans faire de désordre avant les élections. Donner du sens, c'est cela qui est important. Dès les élections finies, tu auras le reste." Le reste ne vint jamais parce que le Maire fut battu aux élections.

Il ne restait plus qu'une épreuve à subir pour notre pauvre ex-conseiller : se battre contre le responsable des espaces verts pour trouver un lieu pour son aiguillage qui ait du sens pour les élus, les riverains, les commerçants, les cheminots, les écologistes de tous poils….et le chef jardinier.

Et c'est ainsi que cet aiguillage est posé là. Face à lui, un banc permet à notre conseiller retraité de venir régulièrement méditer sur le sens du progrès, du chemin de fer, de l'écologie…et de la politique.

La petite vieille avait eu raison. Le réseau n'existait pas, mais cela avait du sens pour ses vieux jours.

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