lundi 29 juin 2009

Si j'avais connu le personal branding…


Je m'appelle Jules T. Je suis né à Paris vers 1800. Toute mon enfance a été bercée par les guerres napoléoniennes. Si, pour vous, cela évoque de grandes victoires (et quelques sanglantes défaites) ou des avenues de Paris, pour ma part, j'en ai plutôt gardé le souvenir de morts et de disparus dans ma famille et dans celles de mon voisinage; La chance a voulu que Waterloo arrive à temps pour m'éviter de partir à la boucherie. Je ne suis pas royaliste ou napoléonien, bourboniste ou Louis-philippard, je suis antimilitariste, c'est tout. Je suis maçon et mon plaisir est de construire de belles maisons.

Jeune homme, j'ai fait mon tour de France comme compagnon, puis je suis revenu à Paris, me suis marié et ai eu deux beaux enfants. Ma vie aurait été simple et tranquille, si ma belle-sœur n'était pas tombée d'un escabeau. Je ne parle pas au sens figuré, mais au sens propre. Elle faisait le ménage chez M. François lorsque cela lui est arrivé. Sa chute a été spectaculaire, mais sans gravité. Cela a suffi pour faire sortir M. François de son atelier pour s'enquérir de ce qui s'était passé. C'est un grand monsieur, M. François Rude, un sculpteur réputé. Elle le croisait de temps à autre, mais ils ne s'étaient jamais adressés la parole. Cette fois-ci, après s'être enquis de sa santé, il lui demanda si elle connaissait un homme en pleine force de l'âge pour lui servir de modèle pour un visage. Elle a pensé à moi, parce que j'étais entre deux chantiers.

J'ai été voir M. François, mon visage lui a plu et il en a fait quelques croquis. Je n'y ai plus pensé pendant quelques années jusqu'au jour, où mon député m'a fait venir chercher pour me féliciter. J'ai alors découvert que mon visage avait été intégré dans une sculpture "révolutionnaire". Je suis devenu, malgré moi, un héros révolutionnaire, un grand républicain, un guerrier qui a défendu la Patrie, moi le pacifiste !

J'ai eu beau me défendre, je me suis retrouvé avec tous les royalistes contre moi et les républicains-napoléoniens qui me célébraient. Je ne vous dis pas les bagarres que cela a occasionnées. Ma famille, mes amis, mon voisinage ont commencé à raconter des histoires sur moi : j'ai été un des volontaires pour défendre la Révolution (je n'étais pourtant pas encore né), j'ai sauvé la Patrie, j'ai fait des combats héroïques (moi qui ait été réformé et n'a jamais tenu un fusil de ma vie dans mes mains)…

J'avais beau m'en défendre, personne ne me croyait. Pensez donc, j'étais la gloire de ma famille, du quartier. Même mes enfants, puis mes petits-enfants s'y sont mis. A la fin, j'ai accepté de jouer ce rôle, c'était moins épuisant que de me justifier et j'ai brodé là-dessus.
Remarquez, cela n'a pas que des désavantages. Quand le prince Louis Napoléon est venu au pouvoir, j'ai eu la légion d'honneur et une pension d'ancien combattant.

Plus tard, mes descendants ont pris l'habitude, tous les cinq ans, de se réunir devant la sculpture où je suis représenté pour m'honorer. L'année dernière, un de mes petit-petit fils a même dit que j'étais un modèle de "personal branding" (il parait que cela veut dire celui qui a su créer son image).

Mais moi, je n'ai pas créé mon image, ce sont les autres qui l'ont créé pour moi. Si j'avais su qu'on pouvait créer son image, j'aurais créé celle d'un maçon de génie ! En attendant, si vous passez place de l'Etoile, venez me dire bonjour. Je suis sur la sculpture "la Marseillaise", à droite en tournant le dos aux Champs Elysées.

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