Il était une fois la Terre
et il était une fois la planète Mars. Les hommes qui habitaient sur la Terre
auraient bien aimé aller sur Mars et sur les autres planètes, mais elles
paraissaient si lointaines !
Malgré tout, ils se mirent au travail avec ardeur. Tout d’abord, ils lancèrent
des satellites qui tournaient autour de la Terre pendant deux jours puis
redescendaient. Ensuite, ils lancèrent des fusées. Au début, on mit des
chiens dans ces fusées. Ensuite, on trouva des hommes courageux qui voulaient
bien être « astronautes, cosmonautes ou taïkonautes ».
Un beau matin, trois fusées partirent de la Terre, de trois endroits
différents. Dans la première, se trouvait un Américain, dans
la deuxième, il y avait un Russe et dans la troisième, un Chinois. Chacun des
trois voulait arriver le premier sur Mars pour montrer qu’il était le plus
fort. Comme ils ne se comprenaient pas, ils se croyaient différents.
Ils étaient tous les trois très forts et arrivèrent sur Mars en même temps.
Ils descendirent de leurs astronefs … et découvrirent un paysage merveilleux
mais inquiétant : le sol était sillonné de longs canaux pleins d’une eau vert
émeraude.
Les cosmonautes contemplaient le paysage et s’observaient, mais chacun restait
de son côté, tant ils se méfiaient les uns des autres. Puis la nuit vint. Il
régnait un silence bizarre et la Terre brillait dans le ciel comme une étoile
lointaine. Les cosmonautes se sentaient tristes et désemparés. Ils comprirent tout à coup qu’ils pensaient la
même chose et qu’ils éprouvaient le même sentiment. Alors ils se sourirent, se
rapprochèrent, allumèrent ensemble un grand feu, et chacun chanta des chansons
de son pays. Cela les réconforta et, en attendant le matin, ils apprirent à se
connaître.
Le matin arriva enfin. Il faisait très froid.
Soudain, un Martien surgit d’un bouquet d’arbres. Il était vraiment horrible à
voir ! Il était tout vert, il avait deux antennes à la place des oreilles, une
trompe et six bras.
Il les regarda et fit : « GRRRR ! » Dans sa langue, cela
voulait dire : « Mon Dieu, qui sont ces affreuses créatures ? »
Mais les Terriens pensèrent que c’était
un cri de guerre.
Le Martien était tellement différent d’eux qu’ils ne cherchèrent ni à le
comprendre ni à l’aimer. Ils tombèrent tout de suite d’accord pour l’attaquer.
En face de ce monstre, leurs petites différences ne comptaient plus. Quelle
importance s’ils ne parlaient pas la même langue ? Ils étaient tous trois des
êtres humains. L’autre non. Il était trop laid.
Et les Terriens pensaient qu’une créature aussi affreuse était forcément
méchante.
Ils décidèrent alors de le tuer avec leurs désintégrateurs atomiques.
Mais tout à coup, dans le silence glacé du matin, un petit oiseau martien, sans
doute échappé du nid, tomba sur le sol, tout tremblant de peur et de froid. Il
piaulait désespérément, un peu comme un oiseau de la Terre. Il faisait vraiment
pitié. L’Américain, le Russe et le Chinois, en le voyant, ne purent retenir une
larme.
À cet instant se produisit un fait étrange. Le Martien lui aussi s’approcha de
l’oiseau, le regarda et laissa échapper deux filets de fumée de sa trompe. Et
les Terriens comprirent soudain que le Martien pleurait. À sa façon, bien sûr,
comme pleurent les Martiens.
Puis on le vit se pencher sur l’oisillon et le prendre dans ses six bras en
cherchant à le réchauffer.
Le Chinois se tourna alors vers ses deux compagnons. « Vous avez
compris ? leur dit-il. Nous croyions que ce monstre était
différent de nous, et voilà qu’il aime les animaux, qu’il est capable
d’être ému. Il a un cœur, et certainement aussi un cerveau ! »
La leçon était claire : ce n’est pas parce qu’on est différent qu’on doit être
ennemi. Ils s’approchèrent du Martien et lui tendirent la main.
Et lui, qui en avait six, serra d’un seul coup la main des trois amis et, de
ses mains encore libres, leur fit un grand salut.
Puis, montrant la Terre, là-bas dans le ciel, il leur fit comprendre qu’il
désirait y faire un voyage pour rencontrer ses habitants. Tout contents, les Terriens dirent oui à ce
projet.
Et pour fêter l’événement, ils lui offrirent une petite bouteille d’eau bien
fraîche qui venait de la Terre. Le Martien, tout heureux, aspira la boisson, et
déclara que cette boisson lui plaisait beaucoup, même si elle lui faisait un
peu tourner la tête.
Mais désormais les Terriens ne s’étonnaient plus de rien… Ils avaient
compris que sur la Terre comme sur les autres planètes chaque être est
différent des autres. Il suffit d’arriver à se comprendre.
Source : Umberto
Eco ; Eugenio Carmi, Les trois
cosmonautes et autres contes, Grasset-Jeunesse, 2008
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire