mercredi 1 avril 2020

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon

Ici, le héros cite son père, un pasteur danois venu s’installer en France. 

« Aujourd'hui, le monde est devenu trop complexe pour se contenter d'approximations , d’explications floues ou de remarques vagues. Je crois plus que jamais qu'il faut s'astreindre à la justesse , l'exactitude, mémé le détail. Autrefois tu pouvais acheter l'âme d'un homme avec une image pieuse sans qu'il demande autre chose qu'une bénédiction. Aujourd’hui, pour obtenir ce que je suis venu chercher, il faudra accompagner ce frère, répondre à ses questions, calmer ses inquiétudes et le border avec les gestes patients d'un référent fatigué des Alcooliques Anonymes. »

 Ainsi parlait mon père point lorsqu'il avait terminé son premier ou son second verre, face à la pluie, il lui arrivait quelquefois de m’entreprendre sur sa marotte, ces heures « passées dans la perfection de la foi ». Un soir, il lâcha soudainement prise et dévissa de la paroi sur laquelle il devait s'accrocher depuis longtemps :

« je n'ai plus la foi.  Même pas une journée. Même pas quelques heures par-ci, par-là. iI n'est plus question de perfection, plus rien. Quand on est allé à Skagen (sa ville natale au Danemark), la dernière fois, j'ai parlé longuement avec le vieux pasteur de ces choses. Au bout d'un moment, il m'a dit : « mais Johannes, moi non plus je n'ai plus rien, rien du tout à part cette bouteille de scotch que je renouvelle quand elle est vide. La foi, c'est fragile, ça repose sur trois fois rien comme un tour de magie. Et  qu'est-ce qu'il faut pour être un bon prestidigitateur ? Un lapin et un chapeau. A une époque j'avais tout ça au creux de la main. Aujourd'hui, plus de lapin, plus de chapeau, plus de magie. » C'est exactement ça, fiston. Plus rien. Moi pour gagner ma vie, je dois continuer à monter sur scène et effectuer mon vieux tour,  le seul que j'ai jamais appris. Et sans lapin, ni chapeau. »

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