samedi 21 mars 2009

Les adieux de l'artiste


Il y avait des vieux et des jeunes, des hommes et des femmes, des biens habillés et des mal fagotés…
Ils avaient des belles voitures et des poubelles, des engins propres et d'autres avec lesquelles on a peur d'attraper des maladies, les biens garées et celles stationnées de travers….
il y avait dans l’assistance des gens que je reconnaissais pour avoir été des gens de bonne foi et des agressifs, des hurleurs et des pleurnicheurs, des dédaigneux et des injurieux…

Il y avait aussi les témoins de la scène au quotidien : des piétons, des habitants du quartier, des commerçants, des concierges, des enfants connus tous petits et qui deviennent un jour des clients comme les autres : ils furent tous tour à tour spectateur, témoin, procureur, avocat de la défense…

Et puis, il y a moi, la contractuelle, la pervenche, l'aubergine…matricule 266.472 Z qui circule depuis près de 20 ans sur la scène du théâtre de mon quartier. J'ai été ailleurs avant, mais c'est le passé, n'en parlons plus.

C’est aujourd’hui mon départ à la retraite. Ils sont tous cotisés pour faire une fresque immortalisant ma vie dans le quartier.

Le quartier, ce quartier, mon quartier, je peux dire que je le connais. J’y ai cheminé ainsi 215 jours par an à raison de sept par jour (avec une pause d'une heure le midi et trente minutes de coupure par demi-journée. Je faisais rituellement les six kilomètres de mon circuit habituel, ce qui me prenait 2h30 en moyenne. Je déambulais souvent seule, parfois avec des collègues tout au long des rues de mon quartier. J'y étais connue, aimée, détestée, respectée, haïe…

Je verbalisais en moyenne 123 voitures par jour. Faites le compte : je faisais 3.926 km par an et verbalisais toutes les 3'35 minutes ou tous les 150 mètres. Mon travail peut vous paraître monotone, routinier, pénible (par -10° ou + 33°), mais je l'aimais bien. Cela peut vous paraître surprenant : comment aimer un tel métier ? Pour vous, il semble simplement alimentaire. Vous espérez peut-être que je vous dise que ma vraie vie était ailleurs, que je chantais et dansais dans une troupe de théâtre, bref, que je savais m'évader de cette grisaille quotidienne…

Eh non ! S'il fut un temps où j'ai détesté ce métier, j'ai appris progressivement à l'aimer au fil du temps. Comment cela peut arriver ? Comme dans la vie habituelle… par coup de foudre ou par habitude. La rue est pleine de mille et un petits détails du quotidien qui vous font apprécier à la fois la sécurité offerte par la routine et les imprévus qui pimentent votre journée.

A vous tous qui êtes ce soir pour fêter mon départ, je voulais vous dire merci parce que vous avez été mes témoins, collègues, mes clients et mes fournisseurs parce que je faisais mes courses avant de partir. Moi aussi, je vous ai aimé ou détesté selon les jours. Finalement, nous avons cohabité. Ma remplaçante arrive demain. Je ne l’ai pas rencontré, je ne lui ai pas parlé. Je vous laisse la découvrir et vous souhaite une bonne coexistence avec elle. Aussi longtemps qu’avec moi ? Je vous le souhaite, quoique je ne sache pas s’il y aura autant de voitures demain. Peut-être plus de vélos, des rollers, des trottinettes,… d’autres formes de clients. A elle de s’adapter, moi je m’en vais loin d’ici habiter dans un espace piétonnier.


Merci pour tout !

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