samedi 10 avril 2010

Je suis un travailleur immigré

Ne dites pas à ma mère que je suis employé chez Mc Do, elle me croit guide au Louvre. Il faut dire qu’en Egypte, le Louvre a une belle réputation, alors que Mc Do. Je suis parti pour voyager et peut-être être embauché au Louvre. Je me voyais déjà dans une belle salle et des millions de visiteurs qui viennent m’admirer, échanger avec moi et me photographier.

Je suis arrivé à Roissy et les ennuis ont commencé : « Vos papiers ? Egyptien ? Prouvez-le ? Antiquité ? Faut voir ! ». En Egypte, les antiquités cela n’intéressent pas grand monde. Le temps consacré à l’avant Islam est à peu près du même ordre que celui vous consacrez aux Celtes (les pré-Gaulois). Dans mon pays, je suis une antiquité sans intérêt et ici…

Finalement, je suis arrivé au Louvre : on m’a proposé un poste dans les réserves (« plus de place dans les salles »). J’ai accepté en me disant que c’était temporaire, que les collections pouvaient tourner ou être prêtées à d’autres musées et que je leur montrerais alors au grand jour ce que je suis capable de faire. Mes nouveaux confrères m’ont vite fait déchanter. Certains étaient dans leur caisse depuis des dizaines d’années sans en être sorti.

Alors, je me suis vite échappé. Heureusement, j’avais lu Da Vinci Code : je savais comment en sortir et me déplacer dans Paris. J’ai très vite découvert que la vie sans papiers n’était pas simple. Dur de trouver du travail, gare aux contrôles inopinés de la police, se tenir loin des maraudeurs et autres vendeurs d’antiquités qui auraient tôt fait de vous arnaquer…

Finalement, j’ai trouvé du travail dans un Mc Do. Je surveille la salle du sous-sol. Il suffit de rester immobile et de promener son regard sans tourner la tête, voire les yeux. Facile ! Je fais cela depuis 3.000 ans.

Il y a la clientèle du matin, ceux qui viennent prendre leur café, parce que c’est moins cher qu’à l’hôtel ou plus pratique que chez eux, les chercheurs d’emploi qui se réfugient ici pour lire les annonces. Il y a la clientèle du midi, toujours pressée, bruyante et sans gêne. Puis c’est l’après-midi avec les touristes, les amoureux, les retraités qui viennent passer le temps. Enfin, c’est le soir avec une clientèle plus détendue, parfois triste, parfois souriante…

Et moi, pendant ce temps, je rêve dans cette salle sans fenêtre, à l’horizon forcément borné, aux grands paysages, à la mer, au ciel bleu…Je ne désespère pas, mais il faut attendre. En effet, j’ai lu par-dessus l’épaule d’un client que l’Egypte faisait campagne pour rapatrier les œuvres immigrées partout dans le monde. Alors, j’attends. J’ai attendu 2.000 ans, je peux attendre un ou deux siècles de plus. Peut-être qu'on aura changé de ministère de l'intérieur et que Mc Do existera toujours.

Aucun commentaire: