jeudi 27 mars 2008

Il y a des limites à la pierre …


J'ai beau être en pierre, je n'en suis pas moins une personne sensible. Je suis le symbole bruxellois de l'image positive des colombophiles. Ces colombophiles et leurs pigeons voyageurs ont rendu de nombreux et fiers services à la population belge tant en temps de paix que de guerre. Le monument où je suis en est l'illustration.

Tout devrait aller pour le mieux si…si...si… on ne se moquait pas de moi. Je vous prends à témoin. Placé sur une place tranquille du vieux Bruxelles, je coulais des jours heureux jusqu'au jour où la pollution automobile a commencé à me rendre malade. Puis ce fut le métro qui passe sous mes pieds et me fait vibrer (mais pas de bonheur) à chaque passage. Ce fut ensuite l'aménagement du quartier qui par souci d'aération a favorisé l'augmentation du trafic. Merci le bruit !

Bref, j'ai beau être en pierre, je n'en suis pas moins sans cœur de pierre. Cela m'a rendu malade. De nombreuses tâches et fentes sont apparues sur ma surface. Les gens chargés de mon entretien s'en sont aperçus et ont prévenu le docteur (ou plutôt les docteurs). Ceux-ci ont compris que je ne pouvais pas aller les consulter et sont venus à mon chevet. Je ne vous dis pas toutes les maladies qu'ils m'ont trouvées. J'ai l'impression d'être un dictionnaire des cas cliniques. En plus, comme je suis à Bruxelles, je suis deux fois plus malade ! Pourquoi deux fois ? Parce que j'ai à la fois les maladies francophones et les maladies flamandes.

Mes médecins tiennent conclave autour de moi et bataillent durs. Comme ils ne veulent pas céder à leurs confrères sur le plan linguistique, ils discutent ferme en…latin ! Les statues de l'église à l'autre bout de la place en pleurent de rire de leur latin : "Accessorium sequitur principale", " "Actori incumbit probatio", "Electa una via, non datur recursus ad alteram", "Genera non pereunt", "Impossibilium nulla obligatio"...

Des âmes bien intentionnées préviennent alors les édiles locaux de ma situation. Que n'avaient-ils fait ? Les francophones viennent à mon secours : les textes sur mes flancs sont écrits en français (à l'époque, cela n'avait pas posé de problème). Leurs collègues flamands, qui tiennent les cordons de la bourse, n'acceptent pas les devis. Pire, ils estiment que je ne représente que les colombophiles francophones et projettent de créer en face de moi une autre statue pour les colombophiles flamands. Les pigeons du quartier en perdent le nord ! Il s'ensuit des manifestations de partisans des deux bords autour de moi. Je me suis trouvée plusieurs fois coincer entre des foules de partisans de la paix des deux bords qui voulaient se battre pour leur conception de la paix.

Les autorités religieuses se mettent de la partie. Cela va de mal en pis. Je ne suis pas assez couverte pour certains d'entre eux. Mes bras nus les choquent. D'autres veulent me voir porter un foulard ou une perruque. Au secours, je n'ai rien demandé…

Heureusement, l'actualité me sauve. Les médias déportent l'attention des édiles, des religieux et des bruxellois vers d'autres sujets plus graves : le "manneken pis" doit-il être circoncis pour éviter les MST (maladies sexuellement transmissibles) ? Le chocolat belge doit-il être produit avec du cacao du commerce équitable ? Etc.

Toutefois, dans un dernier geste d'attention à mon égard, les édiles décident de créer une commission d'étude qui rend quelques temps plus tard ses travaux en anglais. Me voici maintenant avec un beau masque anti-pollution ! Pendant ce temps, la pollution continue, le métro augmente son trafic, mais patience, une commission réfléchit, et moi...

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